LA GRUYERE

978-2-88355-161-9

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Vincent Murith

Mon bi payi

2013 176 pages, format oblong

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49,00 CHF TTC

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Nul besoin de longs discours pour accompagner ces images. Le titre choisi par le photographe dit l’essentiel. Dans les paysages de «Mon bi payi», l’auteur est chez lui. Il connaît de cette Gruyère tous les coins pour en arpenter professionnellement les routes et les sentiers à longueur d’année. Photographe au journal «La Liberté» depuis quelques lustres, Vincent Murith quadrille son «payi» pour en saisir l’actualité. Semaine après semaine, il fréquente les fêtes populaires et les manifestations sportives, dissèque la geste officielle, immortalise le fait divers. Cette fréquentation assidue du terrain lui a permis d’entrer en relation plus intime avec ce «pays». Une relation sensible, affective, personnelle, qui ne trouvera jamais place dans les pages d’un quotidien.

 

C’est ce lien avec son pays d’origine que livre Vincent Murith. Ces photographies nous disent ce que l’auteur ressent face à ces paysages de roches et d’herbes, de pâturages et de forêts. Il semble s’être laissé absorber par cette «sorte de calme puissance» dont parle Gustave Roud lorsqu’il décrit son Haut-Jura. Il y a de la majesté dans ces paysages captés entre chien et loup ou dans la clarté fragile du matin. Une majesté soulignée par la technique du photographe, lequel recompose numériquement le paysage sur la base d’une dizaine de prises de vue verticales, livrant ainsi une image que l’oeil humain ne verra jamais. Et cette approche «circulaire» n’est pas étrangère à l’impression cinématographique laissée par ces photographies. Ainsi, ce chalet du Pralet posé dans le décor grandiose de Brenleire et Folliéran; ainsi, ces bêtes broutant l’herbe dans la lumière rasante et vespérale du cirque montagneux de la Hochmatt. La forme panoramique offre à ces paysages une dimension légendaire.

 

L’harmonie captée par le photographe – il ne pleut jamais dans la Gruyère de Vincent Murith ! - distille un sentiment de plénitude. Dans sa traversée des paysages, le photographe place ses pas dans ceux d’Yves Bonnefoy qui philosophe dans «L’arrière-pays» : «J’aime la terre, ce que je vois me comble, et il m’arrive même de croire que la ligne pure des cimes, la majesté des arbres, la vivacité du mouvement de l’eau au fond d’un ravin,  la grâce d’une façade d’église, puisqu’elles sont si intenses, en des régions, à des heures, ne peuvent qu’avoir été voulues, et pour notre bien». L’auteur suit le conseil du poète pour traverser les apparences afin de déceler les forces souterraines, car «il ne s’agit que de regarder et d’écouter avec force pour que l’absolu se déclare, au bout de nos errements».

 

Rares sont les présences humaines dans les photographies de ce «bi payi». Et lorsque des gens y apparaissent, ils font fusion avec le décor. Cette absence – dans laquelle on peut lire la compensation du photographe de presse contraint de fixer quotidiennement l’écume des jours – renforce encore cette impression de grandeur, cette quête de «l’absolu». Prenez cette photo de l’Intyamon, dans un soir de fin août. Alors qu’il se couche à l’horizon, le soleil semble composer une fugue à travers les sommets entre lesquels glisse une lumière tamisée. Le talent de Vincent Murith est là, dans l’art de capter ces moments où, la lumière aidant, dans la magie de l’instant, le paysage prend la pose et entre en éternité. Ce que ces images ne disent pas, c’est la persévérance nécessaire à leur auteur pour surprendre la montagne dans le bon moment, pour capter cet instant précis où ombres et lumières s’accordent pour mieux révéler un détail, pour saisir ce qui demeure invisible aux yeux de beaucoup mais que l’auteur attend dans la patience du petit matin.

 

Aucun doute, il y a du contemplatif chez Vincent Murith. Un contemplatif intuitif qui fixe sur la pellicule cette espèce d’éternité silencieuse qui habite les poèmes de Philippe Jaccottet. Voyager dans les images de ce «bi payi», c’est cheminer avec le poète de Grignan dans le sentier de «Couleur de terre». Dans ce texte court, Jaccottet tente de cerner l’intensité singulière de ces instants où l’âme humaine est envoûtée par la beauté éphémère d’un paysage: «Nommer cette impression «plaisir» l’eût rendue trop légère et trop gracile; «bonheur» en eût fait quelque chose de sentimental, de trop  domestique et de trop moral; parler de «joie» : peutêtre, si le mot n’eût entraîné l’esprit vers le religieux, le solennel, le grandiose même. Le sûr, c’est qu’il s’agissait d’une impression d’heureuse plénitude, extrêmement intense tout en restant bizarrement calme, plus bizarrement encore comme imperceptible: on aurait presque pu ne pas en prendre conscience».C’est le mérite du photographe. Il fait «prendre conscience» aux regards indigènes de la beauté qu’ils ne voient plus. Combien de fois, en feuilletant ces images, fallut-il revenir sur la page afin de contempler un détail ignoré, pour mieux s’imprégner d’une ambiance jusqu’alors inconnue ?

 

Mais les photographies de Vincent Murith n’incitent pas seulement à la contemplation, à la quête de la beauté, elles sont une invitation à la réflexion. Elles nous poussent à mieux cerner notre définition du paysage, à éclairer les liens tissés entre le paysage, l’imaginaire collectif et sa représentation touristique. Derrière l’apparente esthétique de carte postale, le photographe nous donne à voir un pays dans ses visages pluriels, dans ses forces et ses fragilités. Le photographe est à l’écoute des pulsations du paysage, à l’affût de ces petits miracles qui permettent de passer sous l’écorce des apparences. Il parvient à capter, dans la force du silence, la puissance de sa terre d’origine. Il nous rappelle alors l’étymologie du mot «photographie» : écrire avec la lumière. Car c’est bien dans cette lumière que se cache le secret des photographies de Vincent Murith. Une lumière qui coule entre les sommets, s’échappe dans les vallées latérales, caresse le toit des chalets. La lumière d’un paradis retrouvé.

 

Patrice Borcard

Préfet de la Gruyère

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